Déesses
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Avec Déesses, je revendique une parole d’autrice proche de l’autofiction. J’ai écrit ce texte pendant mes études à l’ENSATT, en me raccrochant à la beauté pour survivre. Mon premier désir avec ce projet est de défendre mon texte au plateau dans un théâtre de récit, faire entendre mes mots. Je veux jouer des codes de l’autofiction pour offrir au texte la puissance de son intention première. Incarner ce personnage d’Astrid que je suis.
Avec Déesses, je cherche un théâtre tellurique et libérateur. Créer un écrin pour les mots. Les faire sonner pour qu’ils réveillent des mondes. Rendre à l’intimité la plus crue ses lettres de noblesse. Activer les corps. Frotter les images contre les phrases. Interroger le regard. Redéfinir la beauté. Passer de l’intime à la prise de parole publique, de la routine quotidienne à l’impensable, du connu au mystère, de l’espace quotidien au spectaculaire. Jouer physique. Jouer poème. Jouer engagée, défendant la performativité des mots et des corps. Revendiquer son désir. Allier le sublime au grotesque. Voilà la seule chose qui compte. Le cap de création. Créer des chocs esthétiques.
Avec Déesses, nous traversons une épopée intime et physique, le parcours d’une renaissance. Avec son corps post-partum et son désir à reconquérir, Astrid se cramponne à la beauté pour survivre. Son parcours se matérialise par la transformation du corps au plateau. Au début du spectacle je suis dans un corps sarcophage de plastique amincissant. De cette image forte nait la stupeur, en contrepoint du texte très aseptisé de la parole d’influenceuse numérique. La friction de ces deux mondes fait apparaitre le rire de l’absurde. Puis, le film plastique se découpé et les peaux mortes tombent pourexplorer la chair, entrer dans l’accouchement et assumer le corps qu’on ne montre pas, celui des couches, des vergetures et de la peau flasque. Le corps de l’après-grossesse. Ne pas fuir devant cet anti-canon de beauté. Aller chercher ses possibles derrière son apparente fébrilité. Trouver le désir, moteur de vie.
Déesses est une polyphonie littéraire. Le son, largement réalisé au plateau, fera partie intégrante du dispositif, par le truchement de l’appareillage de la youtubeuse qui utilise des perches sonores ou des micros. Un traitement de la voix fera apparaître les “cartouches littéraires” du texte et permettra de voyager dans les différentes voix. Ligne de force de la deuxième partie, la pulsation sera celle du battement de cœur du bébé. Sur cette crête de vie s’harmoniseront les respirations, les sons concrets et médicaux et le surgissement d’un chœur féminin de chant grégorien. Au cœur d’un dispositif qui mêle l’ASMR, le DJ Set, la pop culture et le chant sacré, des bruits de forêts, des nappes d’étincelles, nous pourrons entrer dans un monde du réalisme magique.
Déesses est une pièce de nuit, un rituel des temps modernes. Ce qui m’intéresse, à l’intérieur de cet espace-temps du rituel de salle de bain, c’est que tout est possible. La magie peut advenir. Nous pouvons être tout ce que nous rêvons d’être. Pour y arriver, nous nous accrochons au réel, aux objets, aux discours et le monde se transforme et nous aussi. Lire en sumérien. Entre ses produits de beauté qui portent des noms de déesses, Astrid se crée sa propre mythologie résolument contemporaine et ancrée dans la vie. Du crépuscule au point du jour, les frontières se brouillent. L’espace au départ très maitrisé échappe à l’attendu. La salle de bain devient forêt. La terre entre en jeu, les bougies s’allument, et la magie opère. Les déesses s’incarnent au milieu des sapins. Astrid construit son propre sacré.
Déesses s’empare de la question de la beauté et de ses représentations. Travailler le costume comme ligne directrice de la mise en scène au plateau permet d’interroger notre conception de la beauté. Voyager dans l’histoire des représentations. Réinventer la figure de Vénus. Incorporer les représentations extérieures. Apprivoiser et reconstruire pour laisser surgir l’insoupçonnable. Laisser disparaitre totalement l’influence numérique, au profit de l’émergence d’une forme authentique de divinité. Se vêtir d’un peignoir de coquillages, d’une armure et d’une robe de gala en moules. Faire de son désir une manière d’appréhender le monde. Astrid monte ainsi, fière, jusqu’en haut des causses pour révéler son désir, et t’inviter à m’accompagner, toi-qui-a-ce-montrueux-je-ne-sais-quoi-dans-les-yeux, parce qu’on est mieux à plusieurs pour faire de la beauté.
Héloïse Desrivières