Il y a cette horde de méduses, trônant en plein centre comme un radeau de velours voguant dans les limbes de l’amour perdu. Voilà ce qui cimente les entre-pièces, ce qui orchestre l’entresol, ce qui crie entre les œuvres, le fantôme qui hante notre respiration.
On se rapproche. Est-ce vraiment ce qu’on pensait apercevoir ? Entre l’alléchante glace à l’italienne et le repoussant cerveau atrophié, cette chimère à la beauté apparente qui nous attire de loin, est ravagée. Plus nous nous rapprochons de l’objet, plus il se métamorphose. Dans chacune des pièces il semblerait qu’on reconnaisse toujours quelque chose sans pouvoir le nommer véritablement. Les pièces changent en fonction de la distance, de l’angle et de l’humeur de notre regard. Elles rendent mouvantes nos interprétations.

Ce Sentimental Palace est le décorum du faux-semblant. Un cauchemar recouvert de mignonneries où des symboles entremêlés jonchent nos représentations. Aurore-Caroline Marty est ici une artiste Gorgone qui tue l’illusion et renverse notre complaisance. Elle marie les antagonismes avec cynisme et délicatesse. L’attraction inspire la répulsion comme en témoigne ce trophée de lion vomissant guirlande de perles et de fleurs. Cette dualité se confronte dans tout l’espace et au cœur de chaque élément composant ce palais des sentiments. La sécurité et le danger combattent dans l’alliance du cobra et du gant, ainsi que la manipulation et la douceur, tout comme la vie et la mort.

Le lion nous accueille dans ce Sentimental Palace. Griffes recouvertes de faux ongles et yeux remplis de paillettes couleur nuit à l’image d’une pythie antique. Prestance et chichi, le ton est donné. Est-il envoûté ? Est-ce lui qui nous envoutera ? Aveuglement et/ou magnétisme ? Il paraît que l’amour rend aveugle.
Et s’il n’est pas fait du marbre d’un tombeau, le lion restera toujours lion, solide et majestueux, en matériau fragile, et sous le panache de sa crinière, l’artiste se cache.

Elle vibre, cette artiste, sous le drapé de velours qui ouvre sur un mur blanc. Nous dit-elle de regarder dans ce mur, d’aller au-delà de lui-même avec notre imaginaire ? Nous murmure-t-elle d’inventer l’horizon sans aucun point de fuite ? Ou au contraire, nous montre-t-elle la réalité sans échappatoire ? Un coup de poing. Une limite qu’il est impossible de franchir. Est-ce qu’elle nous invite à regarder un espace borgne ou bien un espace infini qu’on peut s’approprier ? Toujours avec charme et cynisme, notre regard fonce dans le mur.

L’arche récupère ceux qui n’ont pas voulu sauter dans le vide du temps. Elle leur permettra d’entrer au cœur de ce Sentimental Palace où les fausses fleurs aux lumières criardes côtoient les rayons naturels qui traversent le vitrail. Vrombit aussi la rigueur derrière les formes mélodiques. L’implacable choix du monde : Eros et Thanatos dialoguent en bichromie.
Le désir tranche dans le vif comme un couperet. Est-ce que le destin tord les flèches de Cupidon après son irréfutable décision ? Ou bien avant ? La flèche n’est-elle pas une allégorie de l’échec ou juste le début de l’histoire qui n’aura pas lieu ? Loin de la vision fantasmée et naïve, où se cache l’amour dans ce palais des glaces ?

Ce Sentimental Palace est un tribunal, hors du temps, sans victime, ni coupable, avec des espaces de complexité esthétique où frictionnent la laideur et la grâce, provoquant à chaque pas, un nouveau choc esthétique. La sentence décapite les statues de plâtre et les lois rongent leur visage échoué sur un autel. Ici les sensations sont pétrifiées. Les pensées sont mises en bocal comme le bouquet de mariée. Aucun sursis, les décisions sont irrévocables. Les certitudes sont ébranlées par la puissance de l’œuvre d’Aurore Caroline Marty, artiste gorgone qui n’a pas fini de nous méduser par son regard désabusé, acerbe et cynique. Ce regard qu’on ne saisit qu’après avoir goûté à la bonbonnière de façade à laquelle on s’abandonne goulument un court instant. Règnent en maitresse les matières et les formes, le décorum et les pierres précieuses : un Sentimental Palace fait des ruines du futur troublant et déroutant.

-texte d’Héloïse Desrivières